
Mes amis sont allés sillonner la ville et ses bazars à vélo, en quête de sacs, paniers et autres outils de voyage et demandent en chemin « taska na kolo ? » (Sacoche de vélo). Je suis dans un appartement aménagé à l’instar de ma bicyclette : dans une brocanterie. L’ouverture de la cuisine donne sur une multitude de fenêtres fermées et l’écho fracassant d'un marteau piqueur me rappelle que je suis dans une grande ville. Une radio Tesla trône au dessus de la gazinière et des ustensiles hors d’âge éveillent mes sens quant à leurs manières d'utilisation. Les vieilles boîtes métalliques ont vécu plein d'épices et les chaises ont mesuré le poids des années. Un cheval est suspendu à l'envers au plafond. C'est le moment pour moi d'écrire à nouveau et de relater les derniers évènements qui me sont arrivés.

Je m'étais fourré dans une forêt tchèque où les biches furent effrayées de mon passage et où, la nuit, les lucioles valsaient autour de ma tente. Depuis mon entrée en république tchèque la route devenait de plus en plus chaotique et j'en venais à faire du Mountain Bike. J’esquivais les trous et les racines et appréhendais la route à la manière d'un break familial enfoncé dans une Gravel Road australienne : doucement et en mesurant l'impact du passage de chaque roue dans les oscillations du terrain. Je m’arrêtais en lisière de forêt et téléphonais à Max pour le prévenir de mon arrivée. Il m'envoya des ondes vibratoires si forte en positivité que je les percevais dans tout mon cœur. Ils ont les vélos, ils m'attendent.
Je reprenais la route et, pensant m’être sortie d'une section compliquée, je m'apercevais que le terrain de campagne, bien que plat, ne s’améliorait pas. Il m'arriva alors ce moment similaire à une envie de chier incontrôlable, à l'approche des toilettes familiales, après trois heures de retenue civilisée. Une sensation similaire aux muscles des jambes qui lâchent, à quelques mètres seulement, à la vue d'un col tant espéré. Je traverse des lieux dit délabrés et m’enfonce dans une ville sans âme. A la gare, derrière les poireaux qui s’abreuvent de bière le dimanche matin, je prends un ticket et termine les 100 derniers kilomètres en train.
Je suis dans le wagon des bicyclettes et poussettes et constate, lorsque les portes se referment, la prestance de mon odeur corporelle. Un homme au chapeau de paille entre pour recharger son téléphone et se réjouit que la prise fonctionne. On discute.
« - You’re crazy man ? All of this by bike...
- Yes, I'm very impressed by your forests by the way.
- It's a wild country. »
Un ami le rejoint pour faire le guet et tirer sur la clope qu'il fume à la fenêtre. Il lui présente ma monture et ce que je fais.
« - Here it's not legal, me dit-il en montrant l’étiquette de la cigarette barrée, but if you check well it's ok. Sometimes the driver can also smoke with you and when the door open, you have 30sec. »
Prague m'arrive par les fenêtres où j'y vois surgir quelques coupoles de cuivre vert.
« - It's big !
- No, no it’s a village.
- You are from Praha ? What should I know about tcheque republique ?
- It's a pretty liberal country, me dit-il en me posant la main sur le dos.
- Why ?
- You will see. »

On m’aide à sortir le vélo, je prends les escalators, sort de la foule et pénètre dans Prague en suivant la géolocalisation envoyée par Max. Je roule sur les pavés, suis la ligne de tram sans me manger le rail comme à Orléans, traverse un pont avec les automobilistes et zigzague entre les façades aux couleurs pastels. Lorsque j'arrive au coin d'une rue, j'entends résonner « Karakiki ! » et alors je cris « Karakoukou ! ». Je tente une roue avant, dépose ma monture et vois se lever d'une chaise en terrasse, un hippie mal rasé et basané, qui vient pour me sauter dans les bras. Il me présente à ses amis et me voilà, en deux temps trois mouvements, entouré de bière et envouté par de belles âmes. La Good Vibration c'est pour maintenant !
Plus tard, avec Max, on demande la localisation d'un bar privé dont le mystère nous intrigue. Les locaux rient et nous indiquent le numéro 11 de telle rue. On pénètre dans un hall grillagé où la réceptionniste semble déjà fatiguée d'avoir à répéter son éternel discours, puis pénétrons dans l'établissement sous terrain. C'est un squat où les murs sont peints et tagués selon différent style artistique ou pas. On pénètre dans un labyrinthe où la lumière tamisée laisse à chaque pièce son atmosphère privilégiée. On se laisse guider par les arômes échappés de quelques longues cigarettes, flânons dans les galeries, prenons nos bières puis nous nous installons en hauteur, dans des gradins où un gang de Roubaix a gratifié une poutre en béton armé de leur passage. On se raconte nos aventures. Un homme joue de la guitare et de l’harmonica quelques minutes sur scène.

Je pars en balade dans les rues de Prague et son centre historique. Autant dire que circuler à travers cette masse touristique est un défi qui met à l'épreuve la technique et le sang froid. Il faut apprécier l'architecture des toitures tout en gardant un œil sur les rails de tram pour ne pas y enfoncer ses roues. Freiner sur les pavés qui menacent ma cagette de décoller. Savoir rester en équilibre précaire face aux groupes d'humains inconscients de leur environnement, faire du sur place, donner des petits coups de pédale. Ceux là sont facilement repérable grâce aux drapeaux ou les colliers de la même couleur dont ils ont été marqués. Mais il faut être vigilant car un troupeau peut en cacher un autre. Il faut savoir se rire des humanoïdes criant dans leur langue quelque chose qui ressemble à un « C'est pas un endroit là ! » et se dire que l'on est le réceptacle bienvenu de leur frustrations inconnues.

Je suis impressionné par la capacité de résilience à l'alcool qu'on les femmes Tchèques. Je vomis par conséquent toute une journée puis nous partons, avec Ania et Max, le lendemain. Une fois le palier franchi, Max dégonfle son pneu et demande à un voisin une pompe adaptée à sa valve que je ne connais pas. Les sacoches touchent les rayons, le suivi du tracé est un enfer, Ania souffre un peu et peine à nous suivre, je casse ma chaîne en plein milieu du centre. Tout ça me fait l'effet d'un départ bien pourri comme on les aime... Allez, on se tire des ces émanations artificielles. Adieu Praha !