
Il y'a des mots et des sourires qui redonnent bien plus de puissance qu'une bonne grosse barre de céréales. Aujourd'hui je quitte l'Euro vélo route pour rejoindre des amis. Je part de Regensburg et me dirige à Prague. Seulement il se met à pleuvoir. Alors je fonce à toute allure à travers champs et forêts Allemandes pour rejoindre sur ce qui, sur ma carte, semble être une cabane. L'abri, sans murs, est exposé en plein vent et ne satisfait pas mon exigence en matière d'abris. En lisière de forêt se trouve, perchée, une hutte de chasseur dont les poteaux sont montés sur des pierres. Les gouttes me rattrapent, la tempête arrive, j'y vais. Je monte l’échelle, referme la trappe et m'assois dans ce mètre cube en bois tapissé de moquette et de fenêtres. La tempête explose contre les parois puis une pluie fine tombe pendant des heures.
On sent que l'ensemble du cabanon a été finement étudié pour s'installer confortablement, boire des bières et parler à son fusil. Tandis que l'inclinaison du fauteuil et la vue proposée offre à l'esprit un état reposant de méditation. Je n'ai pas de bière mais m'installe confortablement avec un bras du Danube, la forêt et les champs pour parler. Le bruit des gouttes qui résonnent contre le bois et le vent qui maltraite les parois, me rappelle un refuge des Alpes où j'étais entouré de vaches, de sommets et de brume. Un tracteur libère au passage une brise de bouse qui ramène mes souvenirs dans des champs d'Australie. Je pense à ce ciel bleu qui m'est venu en pleine figure après ces plusieurs moments de pluie et qui, je sais, reviendra. Je repense au soleil, aux rencontres, au Rhin et aux sourires qui me sont venus depuis.

J'étais chez Dominique, un adhérent de CCI et membre engagé de l'association CADRES de Mulhouse. Malgré son absence, il s'était arrangé, avec une logistique et une générosité naturelle, pour me laisser son logement en attendant que la pluie cesse. Michel, un de ses amis, sonne à la porte pour récupérer les clefs. Il m'accompagne pour partir.
Quand il était venu me chercher en vélo à la gare de Mulhouse j'avais déjà ressenti, lorsqu'il approchait, son capital sympathie. Il ressemble à Albert Einstein et lorsqu'il me fit faire une visite guidée de sa ville natale, des gens dans la rue le saluaient. Ici c'est la cigogne qui vient tout juste de mettre son petit au monde sur le toit près du Théâtre de la place principale, où se trouve le plus grand temple protestant de France et là, des œuvres peintes sur les murs par tels artistes représentant les symboles de la ville, la roue, les étoffes, et là, des infrastructures dessinées par tels architectes. Il faisait beau et l'on se promenait à travers le centre ville dynamique de Mulhouse. Comme au moyen d'un mouliné léger, on s’écoulait.
Engloutissant mon petit déjeuner composé de céréales de maïs au miel, il rigole et me dis :
« - Ça c'est l'Amérique ! Ça existait pas de mon temps haha ! et le Nutella là c'est à prohiber !
- T'inquiète Michel, je prends toujours de la sous marque sans huile de palme.
- Et le Coca-Cola ou plutôt le Caca-O-cul là
- Ça j'avoue c'est vraiment de la merde capitaliste, mais ça me donne tellement d'énergie... »
On rigole bien et on s'amuse avec toute sorte de contrepèterie. Il m’apprend des termes techniques comme Prolo qui vient de prolétariat. Bien utile pour des slogans.
Alors que l'on est sur le point de se quitter, on discute encore de deux ou trois sujets qui nous animent. On est atterré par l'offre de la Poste de demander du pognon en échange d'une discussion humaine et il me démontre par son expérience que le monde a toujours été le même. Il me dit :
« - Certaines personnes me disent que je suis pessimiste mais je leur dis non, je suis réaliste.
- Pareil, il faut pas se voiler la face comme ça. Quand tu sais localiser ce qui est bien moche dans ce monde, tu n'as plus qu'à l'esquiver et te diriger vers la beauté »
On se force à se quitter car sinon, Michel et moi, on aurait refait le monde.

Plus loin, le soleil avait réussit à se débattre avec les nuages et je me souviens qu'en bord de chemin se trouvaient, tout innocemment posé, quatre cerisiers. Leurs fruits étaient bien mures et leurs robes rougissaient devant mon regard affamé. Je leur grimpais dessus en criant « Houhou Hinhin » tout en cueillant les belles cerises sucrées. Je les mangeais en pédalant et replantais, me disais-je, les arbres fruitiers en recrachant les noyaux tout le long de la piste cyclable. Comme ça les gens pourront manger des cerises en juin et y trouveront, peut-être, un avantage supplémentaire à devenir nomade.

Encore plus loin c'était le Rhin, clair comme le ciel, pur et rafraichissant. Je m'y baignais le soir. Au matin, le Rhin s'abreuvait des premiers rayons roses que le soleil dégainait sur les nuages, et de son eau pure, il laissait s'échapper un soupir empourpré.
Ha ! La tempête se calme et présente une éclaircie. Je vais redescendre chercher un crayon à papier dans un sac de ma bicyclette toute trempée et remonter dans mon nid douillet. Je vais y dessiner un peu. Les nuages roulent sur les collines, pourquoi pas y dessiner un radeau ?
