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RETOUR DE VOYAGE - CONCLUSION : DE QUEL CÔTÉ DE LA LAISSE ?

Il était évident pour moi, au cours de mon voyage, d’arrêter d’écrire. Mes ambitions personnelles étaient simples et un peu naïves : donner le courage à quiconque d’affronter ses peurs. Ne plus être spectateur de la destinée des autres mais acteur de la sienne. De trouver dans le voyage quelque chose qui s’apparente à un sentiment de liberté. Démontrer que tout s’acquière et que rien ne se paye. C’est un travail délicat car je comprends aujourd’hui qu’il appartient à chacun de trouver sa propre voie. Les angoisses métaphysiques qui me fut profondes hier, ne sont peut-être pas les mêmes que les vôtres aujourd’hui. Et la manière de percevoir les choses aussi. Il m’est ainsi difficile de me placer objectivement sur le sujet. Et malgré le bon nombre de GUIDES spirituels qu’il me fut donné de rencontrer et de lire sur la route, aucun ne peut préfigurer sur le piédestal de Maître absolu. Pourtant, en chacun d’eux, ils le fussent tous. Voyager dans les obscures profondeurs de ses entrailles est le seul moyen pour devenir vaillant, affranchir ses peurs et ses illusions. Mais personne ne vous indiquera le chemin à suivre. Seul des armes et des boucliers peuvent être présentés au voyageur, mais lui seul sera JUGE de leur utilité en chemin. Je ne peux exposer que quelques exemples originaux...

Ainsi, lors de mes délires psychotiques, il m’était arrivé de me prendre pour un guerrier de lumière. Pédalant à toute vitesse, j’imaginais posséder une épée lumineuse que je faisais tournoyer dans les airs. Et sur les bas-côtés je décapitais les immondes créatures qui détruisent le cœur des Hommes et de la Terre. « Tiens prends ça fils de pute ! Chien de l’enfer ! ». Et j’imaginais alors choir sur les digues conclusion1ensanglantées, des cadavres en costumes trois pièces, symbole de ces sophistes chargés d’égocentrisme totalitaire. Derrière moi, sous un nuage de poussière, gisaient parmi ces corps chauds et fumants, des ogres et des tyrans. A terre étaient leurs étendards sanglants sur lesquelles prônaient fièrement les devises des chants de guerre : « Servilité, Discrimination, Hostilité » et « Conformité, Travail, Frontière ». Lorsque je reprenais possession de ma lucidité, je voyais dans le reflet des yeux des gens, un fou-illuminé en quête perpétuelle. Alors je leur lançais des gestes et des sourires bienveillants, qui bien souvent, m’étaient renvoyés.
Il faut bien différencier le voyage physique et spirituel. Celui dont je parle ici, c’est celui des entrailles. Et lorsqu’on en revient vivant, le reste du voyage devient un chemin vers la béatitude enfantine. Ce qui mériterait une bonne description sinon, serait ce monde dans lequel nous avons tous grandi. Celui qui dès le début nous a conditionné à être sédentaire alors que résonnait encore en nous l’ADN des nomades. Ici peut être se trouve une source à la compréhension de nos dualités, de nos contradictions ?


Je ne vais pas m’étendre longtemps sur les fioritures techniques de mon voyage. Pour faire simple, lorsque je suis fatigué je dors, quand j’ai faim je mange, quand il pleut je me couvre et pour mes pâtes, quand j’en ai, je mets du sel dans l’eau. Je ne vais pas vous expliciter l’ennuyeuse logistique de mes tracés kilométriques à travers l’Europe étape par étape. D’autres le font mieux que moi. Quant aux paysages, vous avez probablement déjà de belles images encastrées dans vos têtes, prises par des artistes de la photographie. Rajoutez-y simplement quelques petits déchets de plastique et des poteaux électriques pour y gagner en authenticité. Et c’était là que j’étais.
J’ai parcouru 8000 Km à travers l’Europe du sud-est, sur un vélo déglingué que je consolidais avec des bouts de bois et des morceaux de chambre à air tout le long de la route, suivant principalement les fleuves et les mers pour y assouvir l’envie de me baigner tous les jours sous un soleil chaud. Aussi je m’endormais dans les forêts profondes, dans des champs d’oliviers ou sur des spots de pêcheur. C’était différent dans les Balkans où j’ai résolument accepté un autre défi physique. J’ai mouliné sans mettre pieds à terre, en insultant avec passion les collines. L’autre défiance c’était celle de ne pas me tuer dans les pentes, toute en ressentant valser dans ma face, les froufrous voltigeant du linceul de la Mort.
Rien ne m’arrêtait. Je faisais confiance à mes sens qui m’indiquaient, par l’intermédiaire de la mastication de mon cerveau, le chemin à suivre. Celui du flow. Celui qui nécessite pour s’accomplir pleinement aucun planning et beaucoup de temps. De cette balade étroite avec la courbe sinusoïdale de mes émotions, j’en retire une grande puissance. Si forte dans le ressenti, que pour la conserver et pouvoir rester dans les parages grisants de cette amour de la FORCE libératrice, je devais continuer à me déposséder.

J’étais, comme avec mes autres voyages encore une fois, victime de la VIE. Comme si une âme éperdue de liberté c’était emparé de mon corps et de mon esprit. Inévitablement, le moindre obstacle à mes envies devenait insupportable.

conclusion2Ainsi par indignation, j’ai fait face, entre autres exemples, à une tête de con d’italien, chauffeur des compagnies Flixbus, qui refusait de prendre mon vélo déglingué et ma carcasse puante alors que j’avais prévu une visite chez une amie d’enfance. Il faisait deux mètres de haut et se plaçait là comme homme de main, anciennement videur de boite de nuit peut-être. J’avais déposé mon vélo dans la soute malgré l’interdiction du chauffeur (j’avais payé), lorsqu’il le remarqua, il plongea dans le compartiment pour me le retirer de force, sans précaution. Lorsque je pris son poignet pour l’en empêcher, je vis en un instant dans ces yeux s’écrouler sur lui-même toute la structure de son égo qui reposait intégralement sur cette attitude de chef de meute. « Hé oui mon gars, la politique de la peur ça ne fonctionne pas sur moi ! disait mon œil, c’est au jeu de main qu’il va falloir passer si tu as vraiment l’air si déterminé... ». Une demie seconde après il hurlait avec véhémence que tout le monde serait en retard par ma faute, histoire de me faire culpabiliser. Suite à mon insensibilité face à la chose, il me mima des mains menottées et me cracha au visage « Polizia ! Polizia ! » mon œil amusé répliqua « Qu’à cela ne tienne ! ». Puis j’ai dû supporter la foule qui, comme un seul homme, me jugeait responsable de leur retard (rappelons que les soutes étaient remplies et que le bus pouvait partir). J’ai tenu jusqu’à ce que les flics arrivent pour finalement être abandonné de tous. Autant l’arrogance et la peur se déjoue en un clin d’œil, autant je reste impuissant face à la matraque, l’arme à feu et la stupidité d’un prolétariat individualiste. En qualité de fin joueur, j’avais envie de dire à ces salauds : « Bien joué... ».

conclusion3En Serbie, je m’étais enfoncé dans une exploitation agricole si vaste que je m’y étais perdu. Cherchant d’un œil hagard un endroit coquet remplissant les critères exigeants à la mise en place de mon bivouac quotidien. Je tombais sur un gros gars qui semblait naturellement se demander ce que je foutais là. Le même archétype que précédemment : Rémunérer pour être un connard. Gros et con. Il gardait l’exploitation. J’usais de bonnes manières et cherchais à m’expliquer mais c’était impossible. Fatigué, j’interrompis mes efforts pour me justifier et continua sur la piste défoncée tandis qu’il appela quelqu’un sur un talkie-walkie. Je ramassais une bouteille d’eau tombée de mon vélo et remarqua qu’il me suivait à pied... Autant dire que j’en rigolais. Sauf que trois cents mètres plus loin voilà que son alter EGO arrivait à ma rencontre. Tout aussi gros et con. Si ce n’est plus. Je fis preuve comme toujours de bienséance, mais lui, jappait de son aboiement typique de chien de garde. Il me lança l’œil de la bête féroce, celui du chien bien disposé à protéger la parcelle de son maître. En une seconde, et parce que la chimie dans ma tête avait changé de disposition, je l’insultais dans notre belle langue française, celle qui fait chavirer l’oreille et le cœur des étrangers. J’avais une fulgurante envie de le cogner. C’était lui cette fois qui vit dans mon œil se composer la structure d’un homme prêt à frapper de tout son soûl. Je pouvais moi-même ressentir l’effet de ce changement brutal dans le reflet de ces yeux. Il fit un pas imperceptible en arrière et l’on pouvait voir entre nous deux s’ériger une clôture invisible. Celle qui délimite et sépare le territoire des chiens de garde, de celui des chiens sauvages.

Ce qui est drôle, c’est que dans tous les cas, au combat singulier, j’aurais probablement perdu. Malgré ça, des chiens hargneux, je n’en aurais pas croisé beaucoup sur ma route... Le plus fous, celui dont l’œil brillait d’un pur et bel éclat de folie, c’était en Grèce. Il m’avait vu le premier et pour sûr là-bas, les vélos déglingués, il ne supportait pas. Alors il s’est mis à courir de toute son âme à travers champs, les babines retroussées, les dents pointées sur moi. J’ai reconnu en un clin d’œil que celui-là n’était pas un agneau et me suis mis à pédaler plus vite, m’emparant de mon bâton (fixé à la fourche, toujours prêt à être dégainé). Une main tenait le guidon tandis que l’autre brandissait le bâton, le chien attaqua le premier et mordis ma cagette-porte-bagage. Pour moi c’était une déclaration. Je ralentissais brusquement afin d’avoir le chien à ma portée et gueula un coup. Mais depuis la plaine surplombante, la voix d’un berger rappela le chien qui rappliqua illico. Et moi, seul dans mon excitation, j’ai immédiatement ressenti la frustration d’avoir perdu un adversaire à ma taille.

Pour le reste, les chiens furent de bonne compagnie sur la route. Quand on a compris, à l’instar des humains, qu’un chien aboie plus qu’il ne mord, on en rigole bien. Comme cette fois dans un trou paumé d’une campagne italienne où des pauvres hommes, femmes et enfants étaient parqués près des champs d’une énorme exploitation agricole, dans des barraques de béton délabré. On aurait dit qu’ils avaient été plantés là, naufragés d’un pays en guerre, semblable à un coulis de diarrhée déposé par un dieu de misère. Bref. Allongé sur l’herbe, sous un arbre frais, deux chiens me voyaient arriver. Ils s’étirèrent les membres tranquillement comme pour se préparer à une course. Ainsi fis-je de même, j’aiguisais mes sens et leur aboya dessus le premier. Les dépassant, ils me suivirent en aboyant joyeusement derrière moi. Leurs queues remuaient dans la course poursuite, ils étaient trahis... Mais le jeu fut honnête quand même, je ralentissais pour leur donner une chance et eux m’aboyaient dessus gentiment. Habituellement je brandis le bâton ou lance des caillasses sur les chiens méchants, mais ce n’était pas le cas pour ceux-là. Comme j’avais accroché sur mon guidon une grappe de raisin fraichement cueilli, j’en détacha un grain et le lança sur un chien. Nous fûmes tous surpris. Le raisin rebondit sur le museau d’un des chiens d’une manière tellement molle que j’eu le temps de savourer la perplexité de celui-ci. Toujours dans sa course, il louchait sur l’orbe vert translucide qui voltigeant dans les airs à un centimètre de ses yeux. Lui-même ne comprit pas ce qui était arrivé mais à peine le raisin eu rebondis sur le sol qu’il l’attrapa sans attendre le second rebond pour le manger. Ils s’arrêtèrent et me regardèrent filer, ahuris.

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Il y en avait un dans un parc, une fois, non loin d’Athènes, qui s’était mis à me japper dessus, la queue fièrement brandit, droite dans les airs, à bonne distance cependant. Il me jaugeait. J’étais malade au point de ne plus pouvoir avancer, une bonne vieille chiasse qui durait... Et je ne voulais pas céder cette partie de terrain public combien même j’avais saisi qu’elle lui appartenait à lui et ses potes... Je pris une pierre et d’un jet puissant lui assigna à la place un bon coup dans les pattes. Un « KAÏ » retenti et je ne le revis plus. En revanche les deux jours suivants, je les entendais lui et ses amis aboyer sur les passants. Ils étaient sur un autre territoire du parc et je les entendais se rire des humains qui hurlaient, surtout les enfants.

J’aime beaucoup les chiens. Cependant quand je les vois en ville, je me demande parfois qui est au bout de la laisse. A l’extérieur du labyrinthe, il n’y a pas de doute. Les chiens puants sont mes MAITRE. Je les admire. Leurs actions ne sont pas tant motivées par des gestes conditionnés à la naissance que par l’utilisation du plein potentiel de leurs sens éveillés et de leurs prises de risques mesurés face aux évènements.
Je pense pouvoir me figurer pourquoi, Diogène de Sinope, le philosophe qui cherchait l’homme, le VRAI, était entouré de chiens errants.

Des chiens libres, je n’en aurais pas croisé beaucoup sur ma route... Et c’est tout vu que si j’en été un, je bondirais moi aussi sur les cyclistes. Je me tapirais peinard sous des buissons et entre deux siestes, je scruterais au loin l’arrivée du frêle humanoïde à deux roues. Sa rapidité entretiendrait mes muscles. A cette vitesse, c’est juste parfait. Suffisant pour se faire la patte sur un petit sprint qui fait du bien. Les sacoches et les pneus entretiendraient mes dents et mon coup de mâchoire. Mais surtout l’humanoïde à deux roues à cette faculté jouissives. C’est qu’il a peur. Qu’il est une proie qui pourrait vous tuer, mais que malgré ça, il continue sa course et pleure. Rien de telle pour consolider un sentiment de puissance... Entre deux siestes...

N’oublions pas : La réalité n’est que l’illusion de nos propres perceptions. Ménageons bien nos sens.

Allez !
Bisous la CCI.

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