
C'est près de lacs, cagette dépliée et panneaux solaires pointés sur l'astre chaud que j'écris désormais. Le départ fut difficile, on se serait cru en nage forcée contre un siphon qui nous aspirait dans la ville. Une fois le vacarme des voitures éloigné, c'était les pistes de cailloux et de terre en pente qui nous conseillaient de retourner d'où nous venions. J'avais hâte de voir se remplacer les voitures par des arbres majestueux. Direction Ouest. Dans le but de rejoindre un parc national à la frontière et le traverser de toute son étendu le long de l'Allemagne jusqu'au sud.

On va profiter du beau ciel bleu que reflète ce petit lac du village reculé d’Olesna. Je pose mon hamac sous un arbre termine un livre de Jack London et commence Kafka. Ania fend l'air avec ses fanions violets accrochés à ses bolas et la forêt, spectatrice tout comme moi, écoute au loin l'écho de la flûte Népalaise de Max. Je suis bien loin de ma centaine de kilomètre quotidienne mais l'instant semble se porter à la contemplation et à la création. J'en profite pour m'enrichir de quelques nouveautés, sort ma ligne de pêche et met mes jambes au repos.
Je taille une cuillère dans une branche, forme la cuvette avec une braise sur laquelle je souffle fort dessus. Je passe toute la soirée à la sculpter. Je suis comme possédé et ne veux pas lâcher la cuillère tant qu’elle n'est pas devenue à mon goût. J'aime découper le bois en petites lamelles et voir l’objet se former doucement. C'est plaisant et satisfaisant. Je la casse quelques jours plus tard. Je construis une Tac-Tac ball à tendance vietnamienne. C'est un jeu dont je ne connais pas bien le nom original mais qui consiste à se faire des passes en équipes ou bien en duel sur un terrain. Elle ressemble à une balle de badminton. Je collecte les plumes des canards au bord du lac et les ligote à un bâton. Je remplis un sac plastique de végétaux, enfonce la baguette de plume dedans et l'enveloppe avec des lanières de chambres à air jusqu'à en faire une balle. L'objet est beau et s'élance merveilleusement bien dans les airs. Il sera perdu quelques jours plus tard. J'écris des sons qui sonnent ensemble, les associent à des idées, les mêlent à l'inspirations du moment. Dans ce havre de paix hors du temps, alors que moi, Max et Ania, on avait déjà oublié de se quitter, la fréquence vibratoire porte mes mots comme cela :
Sous un arbre près d'un lac, Erre l'esprit d'un vagabond.
Il se souvient de ce qu'il fuit,
Savoure l'instant un moment.
Hier c'était l'usine, conformisme et obéissance,
Refoulement du soi et comportement adapté;
Dans une masse moutonnière abreuvée de télé;
Où les faibles exposent leurs fausses puissances.
Où les êtres s'empoisonnent, rongent leurs os jusqu'à la moelle,
Inlassablement ils jugent, mentent, oublient et se querellent.
Pour qu'un jour, dans le noir, on puisse les reconnaître,
Ils finissent leurs vies à servir leurs maîtres.
Mais aujourd’hui le soleil brille,
Dans une azure qui perdure, Il n’en tient qu’à toi vagabond,
De faire en sorte que cela dure.


Plus loin, la roue libre du pédalier de Max se casse. Et là je ne peux rien faire. C'est encore un ralentissement de plus et je sens que mes jambes n'en peuvent plus de ce rythme hachuré. Mon esprit aussi ne peut plus supporter cette organisation trop sujette à la procrastination. Il faut que je m'écoute avant de refouler quelques sentiments. On peut avoir des discussions intelligentes, il suffit de trouver le bon moment. C'est Ania qui commence, et puis nous finissons, à tour de rôle, par définir nos envies respectives et profondes sur nos manières de voyager. Un charmant village Allemand nous accueille comme un seul homme avec bienveillance près de leur lac. On s'y baigne, on boit des bières et jouons aux échecs une dernière fois ensemble. L'air s'emplit des ondes positives qui émanent de nos peaux ensoleillées. Mes batteries en sont pleines. Demain je trace ma route.
