Une virée sportive dans les Alpes du sud

Sérieuses côtes et descentes vertigineuses, paysages superbes au passage des grands cols, moments de paix en altitude, efforts physiques… un itinéraire exigeant à travers la montagne où nous essayons de suivre Luc et sa fière équipe !

par Luc Devors

|

Revue Nº161

|

Hiver 2021

Publié en ligne le

Le voyage à vélo à la portée de tous

En cette période épidémique un peu morose, peut-on espérer faire de beaux voyages à vélo, sans aller trop loin, tout en ayant le sentiment d’être au bout du monde ? Oui bien évidemment cela doit être possible dans notre magnifique pays, si riche et si varié. Je vais en porter témoignage, en vous relatant une superbe et intense randonnée, une dizaine de jours dans les Alpes du sud.

Un groupe d’amis pour une belle aventure

D’abord ne pas oublier que le plaisir du voyage à vélo consiste aussi à partager ses émotions avec des camarades d’aventure. Toute l’alchimie de la relation entre les différents membres d’une équipe – oui en l’occurrence il s’agit bien d’une équipe – amplifie la sensation de bonheur que l’on éprouve dans cette activité qui peut quelquefois déclencher des regards d’incompréhension ou d’incrédulité ! Là encore, la qualité des compagnons et leurs expériences sont des éléments moteurs. Je veux rappeler tout le bénéfice que l’on peut tirer d’une belle dynamique de groupe.

Nous voici en effet partis à trois, André, Patricia et moi. Avec André il s’agit de notre quatrième voyage, dont une fameuse traversée de l’Atacama durant deux mois et demi. André, camarade sûr et calme, tenace face à la souffrance, capable d’effectuer 1500 kilomètres avec une fracture du pouce non réduite. Avec Patricia nous avions passé neuf jours à arpenter les Causses, entre Aigoual et Mont Lozère, magnifique aventure, là aussi presque « du bout du monde ». Patricia possède une motivation, une endurance et une rusticité qui ne peuvent que stupéfier, en un mot un mental d’exception. Parmi toutes ses qualités, elle détient aussi la tolérance et la patience. Sportive de très haut niveau, vice-championne du monde de cent kilomètres à pied… elle doit souvent nous attendre !

Texte alternatif
À proximité du col d’Allos

Un parcours de montagne, une collection de cols

Notre projet consistait en un tour depuis Orpierre, magnifique bourg au nord de Sisteron dans la vallée du Céans, petite rivière qui se jette dans le Buech.

L’endroit a une réputation internationale pour son extraordinaire rocher d’escalade de deux cents mètres de hauteur, le Quiquillon, aux centaines de voies de varappe. Notre programme comportait un certain nombre de cols réputés, pas toujours courus par les « sacochards », Parpaillon (le tunnel), l’Arche, la Lombarde, la Moutière et Allos, sans oublier d’autres plus courts mais redoutables. Je pense au très bref mais très brutal col du Buis, caché dans la garrigue du côté de Saint-Auban.

Le pourquoi du choix d’un tel parcours ? Tout simplement nous aimons les beaux dénivelés. De plus, le Parpaillon, piste militaire construite dans les années trente en particulier par les Espagnols ayant fui l’Espagne franquiste, me faisait depuis de nombreuses années de gros clins d’œil.

Ayant décidé de partir onze jours, il nous fallait « enrober » le tout dans un circuit cohérent. Tâche facile car la Lombarde m’intriguait depuis toujours, avec ses 1400 m de dénivelé, ainsi que la Moutière, col confidentiel un peu effacé car adossé à son grand frère la Bonnette, qui affiche le titre de plus haute route d’Europe, alors que le col du même nom a une altitude inférieure à l’Iseran. Bref, ne le rabaissons pas car il représente une montée équivalente au Ventoux !

Sortie du tunnel du Parpaillon

Prêts pour le départ, première pente, premier bivouac

En cette période de passe sanitaire, l’un d’entre nous n’en était pas muni, au final une bonne chose, ainsi pas de tentation de carte bleue les soirs de pluie. De toute façon, il n’en aurait pas été question, Patricia veillait. Les deux nuits arrosées elle n’a même pas sorti sa tente, se planquant au moins mal sous un avant-toit. Rusticité quand tu nous tiens !

Les deux premières étapes furent une mise en jambe, avec cependant de belles côtes permettant des points de vue superbes sur les eaux bleu azur du barrage de Serre-Ponçon. Au troisième jour, le point dur, la piste du Parpaillon et ses 1850 m de dénivelé depuis le lac, dont dix kilomètres d’un chemin pas toujours en très bon état jonché de gros cailloux. Jusqu’au village de Crévoux une route peu passante tôt le matin permit un bel effort dans la fraîcheur.

Après quelques courses en vue du bivouac, le sentier nous invita à une première « séance de poussage » ! Nous atteignîmes l’entrée du tunnel en fin d’après-midi. Pour André et moi ce fut trois heures de poussage, inutile de préciser que Patricia avait disparu… en appuyant simplement sur ses pédales ! Montée étrange, peu de vélos, beaucoup de motos et de 4×4. Des engins plus gros les uns que les autres, prêts pour l’assaut du désert de Gobi ou des Andes ! Mais l’ambiance resta bon enfant.

Surprenant, à plusieurs reprises alors que nous marquions la pause avec André, des personnes intriguées cherchaient la batterie sur nos montures. Un vélo dans une grande pente, surtout chargé, n’est plus concevable de nos jours autrement qu’électrique. Plusieurs VAE nous ont ainsi doublés. Un Gravel nous croisa, la cycliste nous prévenant que l’autre versant était encore plus chaotique.

Un replat à proximité de l’entrée du tunnel, vers 2500 m d’altitude, nous offrit un bivouac avec un vaste panorama de pics acérés. Vite installés, nous avons pris la nuit de vitesse pour escalader à pied le petit Parpaillon à 2881 m. Nous regrettâmes un peu le grand Parpaillon, mais beaucoup plus raide et à l’escalade plus technique. Risquer la redescente dans l’obscurité nous a modérés !

L’arrivée à Orpierre
Les eaux azur du lac de Serre-Ponçon
Au col de la Lombarde

Versant Italien, Fangio et Stelvio, chauffards mais belles routes !

Après la montée du col de Larche, débonnaire, la longue descente côté Italie jusqu’à l’embranchement du col de la Lombarde à Roviera fut vraiment désagréable. Les Italiens, motos et voitures confondues, sont complètement inconscients. Grands excès de vitesse, dépassement en virage sans visibilité… du grand n’importe quoi ! Je nous revois, doublés dans un tunnel par une voiture, klaxon bloqué, manquant de percuter celle qui arrivait en face.

Ouf de soulagement de rejoindre Cuneo et de trouver un bon bivouac près d’une rivière. Eau revigorante, plaisir insigne, repos bien mérité ! Si les Italiens sont des furieux sur la route, ils se révèlent de fantastiques bâtisseurs et les plus beaux tracés de cols sont sans doute chez eux, à l’image du très célèbre Stelvio. La Lombarde est bien de cette tradition transalpine, avec ses 1400 m de bonheur dans un cadre magnifique, le long d’une route étroite qui ne dépasse pas les 10%.

Le soir, la halte à Saint-Étienne-de-Tinée fut appréciée. Le temps était prévu à l’orage dès 11 h le lendemain. Nous ne voulions pas subir le déluge dans la Moutière, perché à plus de 2400 m, aussi le départ fut très matinal. La petite route traversant le village de Saint-Dalmas-le-Selvage, plus haut village des Alpes-Maritimes, nous fit souffrir. Les 10 derniers kilomètres affichent 1000 m de dénivelé, offrant encore de belles séances de poussage, cependant sur route asphaltée. Au col nous avons visité un ouvrage de la ligne Maginot, travaux titanesques qui sur ce site ne semblent pas avoir servi. Un groupe de FFI y était stationné à la Libération… La pluie nous a cueillis au début de la piste très mal pavée qui rejoint la route de la Cayolle vers 1700 m.

Malgré quelques problèmes mécaniques et de frein nous avons dévalé rapidement dans le froid et l’humidité vers Barcelonnette. Le lendemain un magnifique panorama s’élargit au fur et à mesure que nous gravissions le col d’Allos. Le temps resta encore incertain et quelques gouttes ponctuèrent l’étape. Malgré le passe obligatoire, le camping nous accepta, nous fûmes des clients clandestins, chut ! Moment étonnant, le cuisinier, personnage truculent, nous conta son parcours de baroudeur en Russie.

Bivouac en forêt
Vue depuis le col d’Allos
Descente dans les gorges du Verdon
Après le col des Lesques la route se transforme en piste sauvage et déserte

La Provence, dernières étapes, Orpierre enfin, sprint final

À partir de là les portes de la Provence s’ouvrirent à nos roues. Passage par le Verdon et Castellane, où nous rencontrâmes un jeune cyclo lancé dans un tour de France depuis la Bretagne, en route depuis plus de deux mois.

Après le col des Lesques la route se transforme en piste sauvage et déserte jusqu’au village de Majastres, le bout du bout du monde, mais en France ! Là encore nous avons profité d’un bivouac d’anthologie dans le champ d’une petite propriété déserte.

Des gorges magnifiques nous ont conduits à l’ouest de Digne. Le joli village de Thoard nous proposa son terrain communal pour la nuit, la dernière sur la route. La bière a un peu trop coulé hum hum ! Ultime journée, le défilé de Pierre Écrite nous mena à Sisteron où la place centrale, ombragée et conviviale, nous permit une pause agréable. Nous y avons discuté avec deux bikepackers qui de Genève rejoignaient Marseille.

Après onze jours, que nous n’avons pas vu passer, le rocher d’Orpierre apparut. Sprint final, devant le panneau du village nous nous sommes promis d’autres grosses virées. Il ne faut jamais cesser de rêver !

Cet article est issu du numéro 161 / hiver 2021 de la revue Cyclo-Camping International.

Pour plus de récits de voyages à vélo, abonnez-vous à notre revue !